La vague

Corps vide. Corps plein.

Corps creux, corps lourd.

Un poids, deux mesures. Toujours une hésitation, un regret, une question, une envie, une pulsion. Un manque et une saturation.

Du dégoût matérialisé en nourriture avalé avec la vitesse d’un oubli mécanique, comme si laver la mémoire viderait l’estomac, à la force dilapidée pour tenter de fonctionner aussi vite que d’ordinaire, prétendant de ne pas comprendre pourquoi tout à coup cette marche est plus avide d’énergie, pourquoi tout à coup le couperet de la fatigue débilite l’esprit de toutes ses facultés dès dix-sept heures.

Puis l’envie de vivre, comme les autres, avec les autres, parmi les autres, parce que j’aime leurs sourires, leurs présences, parce qu’ils sont mes amis et que je sais que mon temps parmi eux est compté. L’année prochaine, la fac s’achève, qui sait où nous serons ? Je ne veux plus être passive comme l’année dernière. Je ne veux plus les regarder s’amuser sans moi. Je veux goûter ce bonheur.

Je surfe sur une vague de conciliation. Je contrôle mes mouvements. Je me prends l’écume en pleine face, mais je reste debout sur ma planche. Mais pour combien de temps ? Quand la vague prendra-t-elle fin ? Serais-je capable de me hisser sur la suivante ? Ou m’emportera-t-elle dans un rouleau où je boirai la tasse ? Je suis bien placée pour savoir que ce contrôle actuel n’est, si non illusoire, du moins provisoire.

Corps vide, corps plein – ce corps pour lequel je ressens une totale aversion et une étrange fascination me demeure en vérité inconnu. J’ai soif de contact. Je verse dans la tactilité après des années d’aridité complète. Je ne sais pas comment on fait. Je ne suis même pas sûre de le vouloir. Plus facile de croire que je ne suis pas aimable. Fatiguée par avance à l’idée de m’interroger sur mes émotions, sur celles de quelqu’un d’autre.

Peut-être la prochaine vague m’apportera-t-elle la réponse.