Je les entends parler. L’escalier monte et descend sans cesse sous leurs talons qui claquent. Leur empressement trahit leur bonne humeur. Les éclats de voix d’une discussion qui n’en finit pas me réveillent des courts sommes que la nuit m’octroie. Je vois de plus en plus souvent le matin affleurer les étoiles. Dans le secret de ma chambre, la lumière de la lampe dérègle la perception du temps. Je me déplace en silence. Je ne dois pas déranger, heures indues ou heures séantes. J’ai beau ne pas être seule dans la maison, je ne croise âme qui vive. Je me repousse loin d’elles ; je me retiens en cage. Ma solitude salvatrice me blesse quand les rires résonnent par-delà les barreaux. Mais si je sors, je ne serai pas cette fille enjouée qui apprécie la compagnie. Je ne dois pas écouter l’illusion que cette voix trompeuse me susurre parfois.

Je ne peux pas leur dire que c’est pour leur bien. On ne me croit jamais. Alors, lorsque je ne peux l’éviter, pourquoi continue-t-on de m’ordonner d’être plus chaleureuse ? Prisonnière d’une obligation sociale, on me lynche pour le maximum que je peux être. Mais c’est normal. Ce maximum est une gangue mutique qui regarde le sol et parvient à peine à sourire. Qui soupçonnerait qu’en dessous je me retiens de hurler ? La dernière fois j’ai dû me gratter la cheville jusqu’à me forcer à m’arrêter parce que cela me faisait mal. Je ne me suis aperçue que le lendemain que je m’étais arraché un bout de peau.

J’aimerais qu’on me laisse les protéger du mieux que je peux. Qu’on ne me reproche pas le seul moyen que j’ai de ramasser les morceaux qui restent de moi, sans avoir à me retenir de les leur jeter à la figure. Aussi piètre lanceuse que je suis, je sais que mes mots laisseront derrière eux des plaies sanglantes et je doute d’être capable d’endiguer l’hémorragie.