Se confier

Publié le 28 Juin 2017

Se confier

Je reviens ici parce que j'ai beau l'écrire sur du papier, je n'arrête pas d'y penser. Et peut-être que raconter cela aidera quelqu'un d'autre.

J'ai choisi, difficilement, après de multiples crises de larmes, de bouffe, de délires presque à force d'imaginer les pires scénarios possibles, j'ai choisi de ne pas assister à l'anniversaire de ma mère. Anniversaire non anodin car pour la première fois depuis des années, peut-être depuis dix ans, toutes mes tantes et mes grands-parents allaient venir chez nous. Je me réjouissais sincèrement, puis je me suis aperçue que je n'étais pas prête. M'en apercevoir m'a presque détruite. Avec ce qui restait, je devais choisir entre : rester et faire semblant d'aller bien ou partir. Puis, quand j'ai décidé de partir sans mentir sur pourquoi je partais (j'aurais pu dire que l'amie chez qui j'allais était dans une situation critique, quelque chose dans le genre, mais j'aurais dû gérer une culpabilité décuplée par le mensonge, donc il fallait assumer), il fallait donc le dire, en particulier à ma mère.

Je n'ai pas arrêté depuis d'expliquer son comportement, de le justifier. Elle s'est assise les bras croisés, sans jamais me regarder. "Distante et froide", c'est ainsi que ma tante et marraine a décrit ma mère, une poignée de minutes plus tôt, au téléphone, lorsque je lui ai expliqué la situation pour prendre du courage (dans la mesure du possible, car elle sait uniquement que j'ai des "problèmes"). Cela m'a particulièrement frappé, elle était distante et froide, et je ne l'avais jamais remarqué auparavant. J'ai pleuré avant même de commencer à parler. J'ai pirouetté pour ne pas parler des TCA etc, elle n'a posé que des questions pratiques, par exemple où j'irais pendant la réunion de famille, si je voyais un psy.

Oui, elle a demandé si je voyais un psy : pour vous dire, c'était la première fois depuis des mois que nous avions une "vraie" discussion, la première fois que nous avions une discussion aussi proche de mes problèmes.

Mais elle n'a strictement rien demandé. Sans s'enquérir de mes problèmes, elle aurait pu poser des questions détournées, ou au moins témoigner un peu de gratitude que je prenne sur moi pour parler, un peu d'encouragement pour continuer à me battre, me faire savoir qu'elle sera là quand je serais prête à parler.

Au lieu de quoi, elle m'a dit que j'étais abjecte, abominable, affreuse, épouvantable, dégoûtante, désagréable, détestable, haïssable, horrible, ignoble, immonde, indigne, infâme, inhumaine, innommable, inqualifiable, insupportable, intolérable, méchante, méprisable, mauvaise, minable, monstrueuse, répugnante, rebutante, repoussante.

Tu as été odieuse, m'a -t-elle dit.

J'ai mis un jour entier avant de revenir sur ce mot, autour duquel se sont cristallisées toutes les émotions ressassées après la discussion. J'ai mis un jour entier avant de réaliser à quel point "odieux" était un mot fort, violent. C'est ma psy qui a eu le réflexe de rechercher dans le dictionnaire des synonymes.

Depuis, les mots dansent dans ma tête, je ne peux pas m'empêcher de les regarder tournoyer, marchant dans le verre brisé de mes émotions à nu.

J'étais en larmes, et ma mère m'a dit que j'étais odieuse.

Ma mère n'a pas été une maman.

Il faut que j'accepte l'idée que ma mère est nocive.

La douceur avec laquelle ma psy m'a dit cela s'oppose avec l'horreur de cette phrase. Cela réveille beaucoup d'émotions violentes : honte, culpabilité, je veux m'effacer, me punir d'avoir laissé cette phrase atteindre mes oreilles, pénétrer mon cerveau - pire : oser penser que c'est probablement vrai. Mais je ne veux pas y croire, c'est trop terrible.

C'est trop odieux de ma part.

Je crois que c'est la première découverte sur moi-même et ma famille que je fais à laquelle je n'étais pas préparée. Toutes les autres choses étaient en moi, pressenties même si elles n'avaient pas de forme, de nom. Même si leur en donner a pu être douloureux et insupportable, rien ne m'est plus intolérable que la pensée que ma mère puisse être une mère nocive. Sans doute parce que, quelque part au fond, je sais que si elle est ainsi, ce n'est pas ma faute.

(Pour une fois.)

Rédigé par Tac

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L
Tu n'étais peut être pas prête à découvrir ça, mais tu as l'aire d'être prête à y survivre, plus que tu en as conscience, tu le dis toi même, tu n'es pas odieuse, et ce n'est pas ta faute... à partir de là tu es prêtes à vivre :)
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T
Pas forcément prête à le découvrir, mais l'est-on un jour ? C'est toujours une claque, et ce même dans les cas où cela était su inconsciemment, je pense... Quant à ce qui est de survivre, je ne m'en laisse pas le choix ! Le problème, c'est plutôt la béquille que j'utilise pour le faire. Paradoxalement, la claque est nécessaire (je crois) pour apprendre à marcher sans la béquille !