Piscine - ou ce que l'on s'inflige pour aller bien

Publié le 22 Mai 2017

Piscine - ou ce que l'on s'inflige pour aller bien

Je devais aller à la piscine parce que je me le disais depuis plusieurs jours.

Je devais aller à la piscine car j’avais fait exprès de pas m’écorcher.

Je devais aller à la piscine pour m’immerger.

Je devais aller à la piscine parce que j’en avais envie.

Je devais aller à la piscine pour souffrir.

Je devais aller à la piscine pour repousser les limites de mon corps.

Je devais aller à la piscine pour évacuer la crise d’hier.

Je devais aller à la piscine pour évacuer mon stress.

Je devais aller à la piscine pour me noyer.

Mais la piscine était fermée.

Alors je me sens grosse, laide, cas désespéré, frustrée, bonne à rien, inutile, de trop, énorme, difforme, disproportionnée, immonde, repoussante, graisseuse, puante, sale, infecte.

Et je veux criser pour le justifier, l’oublier…

Est-ce qu’une personne « saine » aurait ces réactions-là ? Certainement que non. Elle se tiendrait devant la porte où est affiché « fermé jusqu’en septembre » (oui ! septembre !), hausserait les épaules et tournerait les talons. Moi, je suis restée sous les quelques gouttes de pluie qui commençaient à tomber, en sentant le gros serpent s’agiter en moi, bâiller, étirer ses anneaux et commencer à mordiller mes pensées de ses longs crocs. Ça remuait dans toutes mes entrailles. J’ai pensé à aller courir en remplacement, même si j’y suis allée la semaine dernière et que ça risque de me faire mal aux genoux. J’ai pensé à manger, parce que c’est la seule chose que je sais « bien » faire. J’ai pensé à faire du vélo pendant des heures, malgré la circulation énervée du soir et la pluie et le vent qui se renforçaient. J’ai pensé à faire une séance de muscu jusqu’à avoir de la sueur sur tout le corps et les muscles paralysés, jusqu’à ce que je doive me jeter sous la pluie pour me refroidir. J’ai pensé à prendre une lame et ouvrir mon corps de longs traits rouges.

Durant les trente minutes de trajet jusque chez moi, vous l’aurez compris, j’ai cherché des moyens de me faire mal, en sachant tout au fond que quoi que je fasse, ça n’améliorerait pas mon estime ou mon humeur car ce que je voulais, vraiment, c’était aller à la piscine.

Ridicule, n’est-il pas ?

Oui. Mais pourquoi, alors ? Pourquoi l’impossibilité d’aller à la piscine m’a mise dans tous mes états ? Parce que je m’étais mis dans la tête qu’après la piscine, j’irais mieux, je saurais gérer mon stress, j’aurais accompli ce que je m’étais dit que je ferais, je serais moi. Cette porte fermée, je me suis retrouvée… avec moi, mais le moi que je n’aime pas, celui que je voulais noyer dans le bassin. Cela me renvoyait à mon image de moi, celle que je voudrais être, celle qui n’a pas à calculer les endroits où elle se fait mal pour que ça ne se voit pas de trop, celle qui n’a pas à calculer combien elle doit perdre et combien elle pense qu’elle doit prendre pour avoir de l’énergie mais pas de gras, celle qui n’a pas à culpabiliser de ne pas avoir respecté cela.

J’aime la piscine car malgré toutes les pensées parasites, je peux choisir de retenir ma respiration, et je sens mon cœur qui bat. J’ai les oreilles pleines d’eau et les bruits dans ma tête se mélangent avec les bruits des lieux, et le seul élément tangible c’est ce bleu humide qui m’entoure, et ce n’est pas des larmes. J’aime prendre la douche après, lorsqu’il n’y a personne, l’eau n’est pas toujours très chaude et il y a souvent des courants d’air, mais j’ai l’impression de me retrouver, et que dans ce petit coin de carrelage je suis en sécurité. Et quand je rentre chez moi, que je me mets en pyjama, ma peau sent le chlore, et je peux renifler mon épaule comme pour me rappeler qui je suis – ou qui je ne suis pas.

Rédigé par Tac

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