Il y a des périodes où

Publié le 4 Août 2017

Il y a des périodes où, quelque part, j’abandonne un peu.

A la minute où j’ai l’idée de la nourriture, je sais que je vais aller manger. Je peux le tenir au loin une heure, deux, la plupart du temps une minute, juste histoire de mettre un marque-page, d’écouter la tirade du personnage du film. Et pendant que j’enfourne mon cerveau se demande pourquoi je fais ça. Parfois pour essayer, vraiment, de trouver une réponse, mais la plupart du temps, c’est juste une tirade dithyrambique sur mon absence de volonté et la putréfaction de ma vie. Ma conscience me dit d’arrêter tout en m’intimant de continuer. Alors que j’arrive au bout du paquet/de la tartine/ du pot, une pensée traverse toujours mon esprit. Est-ce que t’as fini maintenant ? Et alors mon cerveau n’a pas besoin de réfléchir ; la série d’options culinaires défile comme les items de Mario Kart, et je sais que tant que l’item « élu » ne sera pas passé par ma bouche, je resterais spirituellement rivée dessus, comme si je n’avais pas déjà mangé. Parfois je me demande, je pourrais essayer de résister, parfois je ne le fais pas et me déteste pour n’avoir même pas essayé. Quoiqu’il arrive il y a la haine à la fin, la haine de l’avoir fait – mangé.

Pourquoi t’es pas plus forte ?

Je suis censée être têtue. Avoir une volonté de fer.

Soit ce n’est pas vrai, soit quelque chose en moi veut manger.

Non, j’ai pas fini. Même quand mon estomac me fait mal, tout en veut encore. Même la culpabilité en veut encore, parce que au point où j’en suis, parce que c’est tout ce que je mérite, parce que plus je mange plus je me déteste – ma culpabilité veut me faire me sentir mal, elle se nourrit de mon mal-être, alors je dois manger… Même quand mon estomac me fait mal, que j’en peux plus, je regarde encore les placards, me demande ce qui pourrait encore passer – rien, rien ! crie mon estomac – mais l’estomac fantôme, celui qui veut toujours être plein mais qui ne semble jamais se remplir, il doit être tissé de la même matière que le sac de Mary Poppins – son jumeau maléfique, tout du moins – c’est cet estomac-là qui commande mes pensées, mon regard. C’est à regret que mes pieds me portent hors de la cuisine, c’est avec des larmes immatérielles qu’une minorité rationnelle essaie de détourner mon attention de la bouffe, de mes douleurs corporelles, des pensées noires, si noires qu’elles en annihilent la noirceur – un véritable trou noir, qui m’aspire toute entière, peu à peu, bien que je refuse de le voir… Il y a des jours meilleurs, où j’ai l’illusion d’y croire, mais à un moment, toujours, je me prends un coup et je m’aperçois qu’en fait, j’étais cette petite balle de ping pong lancée à toute volée, destinée à se manger la raquette et à valser dans l’autre sens, de nouveau destinée à se manger la raquette quoiqu’il arrive…

Je dis balle de ping pong mais je suis loin de me sentir aussi légère, aussi aérienne. Je me sens plus comme une vieille masse informe de boue qui s’écrase au sol dans un vieux bruit de succion qui provoque des moues dégoûtées tout autour d’elle.

Il y a des périodes où

Et cela recommence le lendemain. Je peux sauter le petit-déjeuner, ou me forcer à en prendre, ou criser joyeusement, je ne suis souvent pas encore réveillée que je réfléchis, dans un demi-sommeil, à ce que je devrais faire. Essayer de réduire les douleurs stomacales en ne mangeant pas, essayer de manger quelque chose de facile à digérer sachant que la première bouchée me fera tomber dans une série de mâche-avale des choses qui m’ont précisément fait mal la veille… Je ne peux pas échapper à la bouffe.

Toujours pas.

Certes, je ne pourrais jamais y échapper, pas physiquement. Mais si seulement je pouvais y échapper spirituellement… Je devrais peut-être vivre sur une île déserte et stérile, avec seulement un paquet de riz. Quoique je finirais probablement par bouffer du sable.

 

Mais pourquoi j’écris tout ça ? Vous qui lisez cela, vous le savez déjà. Vous le vivez, peut-être à quelques nuances près, mais c’est ça, dans les grosses lignes. Si vous êtes tombé(e)s sur ce site, vous n’être très probablement pas quelqu’un qui cherche à comprendre ce que les gens comme moi et Tic vivons. Ou alors, si vous n’êtes pas malade et avez eu cette brillante idée de rechercher sur les blogs des témoignages, plutôt que ces froids discours cliniques, très intéressants certes mais si éloignés de notre subjectivité, pour nous qui y sommes plongées H/24, félicitations ! Et dans ce cas j’espère que cet écrit vous aura été utile. Mais pour ceux qui ont la tête sous l’eau, quel est l’objectif ? Vraiment, je me demande. Je devrais écrire des choses édifiantes, qui vous inspireraient, ne serait-ce que le temps de lire jusqu’à la fin du paragraphe.

Au lieu de quoi je me complais dans ma lamentation. J’espère au moins qu’elle fera écho aux vôtres. Sachez que vous n’êtes pas les seuls à entendre ce long cri qui vous force à l’écouter, qui se réverbère partout où vous allez, et qui sournoisement se transforme en pensée pour mieux vous pousser sur la voie de l’auto-détestation.

Accrochez-vous. Un jour il sera aphone.

Rédigé par Tac

Publié dans #boulimie

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L
Tu sais, ce que tu écris ne fais pas juste "écho". C'est aussi douloureux que ça soulage. de la même façon que lorsqu'on écoute des chansons triste en boucle. Tu met des mots sur des émotions pourtant indescriptible et tu nous, ou en tout cas me, permet d'exprimer un sentiment, d'extraire un malaise comme je ne saurais le faire seule.
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L
Merci à toi :)
T
Merci beaucoup ! Le pouvoir de l'écriture est, quand il ne me fait pas défaut, la seule chose tangible qui me reste... Et je pense que c'est le cas pour beaucoup d'entre nous ! J'ai lu des tas et des tas de blogs, et j'ai lu des descriptions de ce que je vis, si justes, si poétiques (à la Baudelaire, j'ai envie de dire, parce que comme lui nos sujets sont des fleurs du mal), je pense qu'il y a des milliers de façons d'écrire dessus et chacune est juste et nécessaire. (Je suis contente de participer à l'édifice, quitte à en connaître les maléfices)